La fabrique du Bal entomologique
“… les ayant revêtus d’une seconde beauté”
Paul Valéry
Dans son atelier, Elisabeth imagine et façonne d’étranges coléoptères, lépidoptères et autres insectes. Étranges car, à y regarder de plus près, ils sont créés à partir d’objets insolites ou familiers, rares ou anodins, précieux ou ordinaires.
Comment a démarré ce “Bal entomologique” ?
Ah ! si je savais. Quand l’aventure de “la Bonne Renommée” a pris fin, j’ai eu envie de faire des petites choses très libres, des pièces uniques pour lesquelles je n’aurais pas la contrainte de la taille et de la quantité comme pour des vêtements. Et puis, j’avais ce stock hérité de l’atelier, il y avait des tissus, des boutons, tout un attirail de mercerie. Je me souviens très bien de mon premier insecte. C’était un papillon. Je l’ai toujours et il est resté à l’état d’ébauche. Et à partir de ce moment-là, je me suis mise à faire des recherches, à lire beaucoup d’ouvrages de naturalistes, d’entomologistes et à parcourir les collections d’insectes des musées de Londres, New York... J’ai aussi passé beaucoup de temps au Musée d’histoire naturelle du Jardin des Plantes, bien sûr. Je me suis lancée avec passion dans cet univers.
En revanche, je ne suis pas en mesure d’expliquer ce qui m’a amenée à ces transformations. Je ne sais pas si je panse une blessure, si je répare ou j’exorcise quelque chose.
Il y a probablement un lien avec le fait que ces objets et ces insectes sont en voie de disparition. Perdus ou trouvés, ces “objets inanimés”, je les fais revivre à travers ces petits animaux. En tout cas, je cherche à capter ce sillage, cette trace, ces signes qui composent les insectes que je crée. Je transfère leur âme vers un nouveau corps. Une forme de métempsychose en quelque sorte.
L’atelier regorge d'objets hétéroclites. Cette accumulation doit représenter des heures et des heures de chine.
Je passe une partie non négligeable de mon temps à chiner. J’arpente les marchés aux puces, les brocantes, les vide-greniers. Je pars à l’aventure. C’est très excitant. Je ne sais pas forcément ce que je cherche, mais quand je vois l’objet, je sais que c’est lui. Je suis toujours à l’affût, même dans la rue. Je ramasse par terre. Je récupère, je glane en permanence.
Quand je rentre chez moi, je pose mon butin sur une table. Parfois, il y a des évidences. La proximité de certains éléments raconte déjà une petite histoire. Parfois un objet me plaît énormément mais je ne sais pas encore ce que je vais en faire. Il attendra d’être élu.
Certains objets parlent tout seuls, le casque d’escrime deviendra coléoptère, le napperon de dentelle un ventre d’insecte bien dodu, le porte-assiette une paire d’antennes.
Il y a beaucoup de dentelles aussi.
Oui, j’en ai acheté beaucoup. Je trouve ça très beau. En même temps, c’est aujourd’hui totalement démodé et endormi dans des armoires sans aucun espoir d’avenir. C’est un travail extraordinaire. Je suis très admirative des heures et des heures d’ouvrage que cela représente. J’en ai accumulé pendant des années sans rien en faire. Ça m’intimidait. Je pensais que je n’avais pas le droit d’y toucher, de les dénaturer, que ce serait un sacrilège. Un jour, tout s’est déclenché quand je suis tombée sur un rideau en dentelle particulièrement abîmé et déchiré. J’ai osé y toucher, le découper, le teindre même. Une nouvelle collection allait démarrer. Celle que j’ai appelée “Le point du jour”.
Comment naissent ces petits animaux, quel est le processus de création ?
C’est un rituel. Je pose la pièce sur ma table de travail. Je la regarde, je l’examine, j’explore les volumes, les matières, je recule, je fais un pas de côté. C’est un peu comme une danse, un pas de deux avec l’insecte en puissance, je tourne autour, je penche la tête, j’avance, j’approche, je recule. Je cherche l’équilibre, la complicité. Je regarde tout en permanence dans une douce ivresse.
Le premier jet peut venir spontanément. Souvent je vois très vite ce que ça va donner. Je pose ensemble quelques éléments, je les épingle, il y a déjà une belle ambiance, une allure. L’étape suivante est la plus complexe. Entre le premier jet et l’aboutissement, ça peut prendre un temps fou. J’essaie toujours de garder l’atmosphère initiale. Mais il arrive que les choses se transforment complètement en cours de route. Parfois il manque un élément. Et là, c’est le mystère total. Je peux le trouver en cinq minutes comme en plusieurs jours, plusieurs semaines. J’ouvre toutes mes boîtes, tous mes tiroirs, je mets tout par terre. J’ai besoin d’être entourée de tous mes objets. J’aime faire se côtoyer un élément très précieux avec un autre très ordinaire, une jolie épingle à chapeau avec une vieille pince à linge ramassée par terre pour sa couleur d’un vert délavé. La couleur, l’harmonie des couleurs est un bonheur pour moi. Découvrir le ton qui, à côté de deux ou trois autres, fera vibrer l’ensemble, demeure un de mes grands plaisirs.
Ainsi, je vis de longues périodes laborieuses et, parfois, de réjouissants moments de grâce où l’insecte s’élabore presque en dehors de moi.
Est-ce que parfois les insectes du “Bal entomologique” se chamaillent ?
C’est amusant, cette question. Non, je crois que je les en empêche. J’ai besoin qu’ils s’entendent. Qu’il y ait une harmonie entre eux. À chaque nouvelle naissance, il faut un certain temps pour qu’ils s’acceptent, s’accordent et qu’ils apprennent, que nous apprenions à faire territoire ensemble. Mais ils sont tellement nombreux maintenant qu’ils débordent de l’atelier et se faufilent dans tout l’appartement. Ils ne se chamaillent pas, ils semblent même d’accord pour m’envahir, à moins qu’ils ne cherchent à prendre leur indépendance.
C’est peut-être un signe. Ils veulent peut-être sortir, se montrer.
Peut-être ! Et moi qui ai l’impression que je viens de commencer. Je passe mon temps à dire que j’ai encore plein de choses à réaliser. Peut-être que je n’arrive tout simplement pas à m’en séparer. Enfin bon, on verra !
Comment a démarré ce “Bal entomologique” ?
Ah ! si je savais. Quand l’aventure de “la Bonne Renommée” a pris fin, j’ai eu envie de faire des petites choses très libres, des pièces uniques pour lesquelles je n’aurais pas la contrainte de la taille et de la quantité comme pour des vêtements. Et puis, j’avais ce stock hérité de l’atelier, il y avait des tissus, des boutons, tout un attirail de mercerie. Je me souviens très bien de mon premier insecte. C’était un papillon. Je l’ai toujours et il est resté à l’état d’ébauche. Et à partir de ce moment-là, je me suis mise à faire des recherches, à lire beaucoup d’ouvrages de naturalistes, d’entomologistes et à parcourir les collections d’insectes des musées de Londres, New York... J’ai aussi passé beaucoup de temps au Musée d’histoire naturelle du Jardin des Plantes, bien sûr. Je me suis lancée avec passion dans cet univers.
En revanche, je ne suis pas en mesure d’expliquer ce qui m’a amenée à ces transformations. Je ne sais pas si je panse une blessure, si je répare ou j’exorcise quelque chose.
Il y a probablement un lien avec le fait que ces objets et ces insectes sont en voie de disparition. Perdus ou trouvés, ces “objets inanimés”, je les fais revivre à travers ces petits animaux. En tout cas, je cherche à capter ce sillage, cette trace, ces signes qui composent les insectes que je crée. Je transfère leur âme vers un nouveau corps. Une forme de métempsychose en quelque sorte.
L’atelier regorge d'objets hétéroclites. Cette accumulation doit représenter des heures et des heures de chine.
Je passe une partie non négligeable de mon temps à chiner. J’arpente les marchés aux puces, les brocantes, les vide-greniers. Je pars à l’aventure. C’est très excitant. Je ne sais pas forcément ce que je cherche, mais quand je vois l’objet, je sais que c’est lui. Je suis toujours à l’affût, même dans la rue. Je ramasse par terre. Je récupère, je glane en permanence.
Quand je rentre chez moi, je pose mon butin sur une table. Parfois, il y a des évidences. La proximité de certains éléments raconte déjà une petite histoire. Parfois un objet me plaît énormément mais je ne sais pas encore ce que je vais en faire. Il attendra d’être élu.
Certains objets parlent tout seuls, le casque d’escrime deviendra coléoptère, le napperon de dentelle un ventre d’insecte bien dodu, le porte-assiette une paire d’antennes.
Il y a beaucoup de dentelles aussi.
Oui, j’en ai acheté beaucoup. Je trouve ça très beau. En même temps, c’est aujourd’hui totalement démodé et endormi dans des armoires sans aucun espoir d’avenir. C’est un travail extraordinaire. Je suis très admirative des heures et des heures d’ouvrage que cela représente. J’en ai accumulé pendant des années sans rien en faire. Ça m’intimidait. Je pensais que je n’avais pas le droit d’y toucher, de les dénaturer, que ce serait un sacrilège. Un jour, tout s’est déclenché quand je suis tombée sur un rideau en dentelle particulièrement abîmé et déchiré. J’ai osé y toucher, le découper, le teindre même. Une nouvelle collection allait démarrer. Celle que j’ai appelée “Le point du jour”.
Comment naissent ces petits animaux, quel est le processus de création ?
C’est un rituel. Je pose la pièce sur ma table de travail. Je la regarde, je l’examine, j’explore les volumes, les matières, je recule, je fais un pas de côté. C’est un peu comme une danse, un pas de deux avec l’insecte en puissance, je tourne autour, je penche la tête, j’avance, j’approche, je recule. Je cherche l’équilibre, la complicité. Je regarde tout en permanence dans une douce ivresse.
Le premier jet peut venir spontanément. Souvent je vois très vite ce que ça va donner. Je pose ensemble quelques éléments, je les épingle, il y a déjà une belle ambiance, une allure. L’étape suivante est la plus complexe. Entre le premier jet et l’aboutissement, ça peut prendre un temps fou. J’essaie toujours de garder l’atmosphère initiale. Mais il arrive que les choses se transforment complètement en cours de route. Parfois il manque un élément. Et là, c’est le mystère total. Je peux le trouver en cinq minutes comme en plusieurs jours, plusieurs semaines. J’ouvre toutes mes boîtes, tous mes tiroirs, je mets tout par terre. J’ai besoin d’être entourée de tous mes objets. J’aime faire se côtoyer un élément très précieux avec un autre très ordinaire, une jolie épingle à chapeau avec une vieille pince à linge ramassée par terre pour sa couleur d’un vert délavé. La couleur, l’harmonie des couleurs est un bonheur pour moi. Découvrir le ton qui, à côté de deux ou trois autres, fera vibrer l’ensemble, demeure un de mes grands plaisirs.
Ainsi, je vis de longues périodes laborieuses et, parfois, de réjouissants moments de grâce où l’insecte s’élabore presque en dehors de moi.
Est-ce que parfois les insectes du “Bal entomologique” se chamaillent ?
C’est amusant, cette question. Non, je crois que je les en empêche. J’ai besoin qu’ils s’entendent. Qu’il y ait une harmonie entre eux. À chaque nouvelle naissance, il faut un certain temps pour qu’ils s’acceptent, s’accordent et qu’ils apprennent, que nous apprenions à faire territoire ensemble. Mais ils sont tellement nombreux maintenant qu’ils débordent de l’atelier et se faufilent dans tout l’appartement. Ils ne se chamaillent pas, ils semblent même d’accord pour m’envahir, à moins qu’ils ne cherchent à prendre leur indépendance.
C’est peut-être un signe. Ils veulent peut-être sortir, se montrer.
Peut-être ! Et moi qui ai l’impression que je viens de commencer. Je passe mon temps à dire que j’ai encore plein de choses à réaliser. Peut-être que je n’arrive tout simplement pas à m’en séparer. Enfin bon, on verra !
© Elisabeth Gratacap